Hier, jeudi 21 mai, nous avons célébré la journée mondiale de la diversité culturelle. Elle est marquée par la crise du coronavirus, une forme d’apocalypse, au sens étymologique de « révélation ».
Ce 21 mai nous avons célébré la journée mondiale de la diversité culturelle au moment même où la moitié des états-nations de la planète se dé-confinent péniblement avec à la clef une grave crise internationale. Car la crise du coronavirus révèle, de manière apocalyptique (au sens de révélation) l’urgence de penser autrement non seulement la culture mais l’État-nation pour faire face aux défis écologiques, économiques, sociaux et sanitaires de notre époque.
L’ennui, c’est que l’État est tout à la fois la solution et le problème. Solution parce qu’enfin il permet de redéployer l’autorité de la puissance publique pour la défense de l’intérêt général. Mais c’est également le problème parce que dans le même mouvement il défend justement ses intérêts nationaux au détriment de l’intérêt supérieur de l’humanité. C’est ainsi qu’on a vu les états gérer la crise sanitaire en ordre dispersé, se concurrençant à qui mieux mieux pour obtenir les fournitures sanitaires et retenir l’information qui aurait pu nuire à leur image. C’est par la suite seulement que certains d’entre eux ont accepté de soutenir leurs voisins sans pour autant que cette solidarité soit dépourvue d’arrière-pensées géopolitiques.
Grandeur et fragilité des états modernes où sont mises en lumière la souveraineté qui en constitue le principe politique et l’universalité, son avers philosophique et juridique. Souveraineté et universalité constituent les deux facettes, les pôles opposés mais complémentaires de l’état-nation, né des révolutions du XVIIIe siècle.
Ce n’est pas un hasard si on les retrouve dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen; car les droits individuels prolongent logiquement les droits collectifs garantis par cette nouvelle entité –l’état-nation- qui transforme les hommes, nés égaux en droits, en citoyens. L’assujettissement des droits de l’homme à l’intérieur du périmètre d’un état national censé les garantir ne va pas de soi. Tout au long de son histoire, cela a donné lieu à des dérives génocidaires et concentrationnaires dont la Shoah en a été l’apocalypse, toujours entendu ici comme révélation. Et que nous révèle-t-on de si évident comme les habits neufs de l’empereur sinon la “vie nue” réduite à son dépouillement élémentaire, biologique. C’est le biopouvoir dont s’est saisi la philosophie politique avec des penseurs comme Michel Foucault, Gilles Deleuze, Giorgio Agamben (dans ce blog hier jeudi 21 mai).
Aujourd’hui cette crise sanitaire planétaire, amplifiée par les médias et les réseaux sociaux, nous en donne une nouvelle illustration, certes moins tragique mais tout aussi édifiante. C’est à cette intersection que se situe la réflexion sur l’état-culture.
“Si c’était à recommencer, je recommencerai par la culture” aurait dit Jean Monnet, l’un des pères de l’Union européenne. Ce regret apocryphe devenu célèbre illustre bien cette incapacité à penser la culture comme le point d’équilibre entre la défense de l’intérêt général à travers l’état et la défense des droits fondamentaux dont la liberté d’entreprendre est l’expression. Cet échec qui explique en bonne partie la polarisation de plus en plus marquée entre les souverainistes qui brandissent le drapeau national contre les abus de la mondialisation et les défenseurs de la mondialisation ultralibérale qui veulent rendre la nation plus compétitive et performante pour lui conserver sa puissance. La vérité se trouve toujours au milieu. Elle tient non seulement dans la capacité de comprendre et d’interpréter les changements qui nous affectent mais aussi de pouvoir y répondre concrètement. Or ce lieu de l’équilibre c’est la culture, non pas celle des “cultureux” mais celle qui existe en tout un chacun.
> Vocation intégratrice de la culture
Cependant, au train où vont les choses, on risque plutôt de se retrouver avec des démocratures fédérées entre elles par un pacte de surveillance généralisée sous couvert de défense de l’intérêt national. Ce type de société est déjà en acte en Europe et en Asie. Pour s’en préserver, il est urgent de redonner à la culture la vocation intégratrice qui a toujours été la sienne par l’éducation, le savoir formel et informel et la solidarité que nous héritons de nos aînés et auquel nous contribuons à notre tour. La défense de la culture ne doit être limitée à son domaine mais bien irriguer toute la société afin que chacun d’entre nous puisse être solidaire et créateur de la richesse commune. Vaste programme, direz-vous.
Et pourtant la France a été l’un des deux parrains de la Convention sur la promotion et la protection de la diversité culturelle de l’UNESCO qui fêtera cette année son 15e anniversaire. A l’époque, il s’agissait d’une part de défendre la culture nationale face à l’invasion du divertissement proposée par les Majors et d’autre part de permettre aux pays moins favorisés de se doter d’une authentique politique culturelle. L’idée généreuse est de permettre, dans le droit fil des Lumières, à l’ensemble des cultures spécifiques des états de pouvoir avoir leur juste place dans la cité mondialisée. On est loin du compte. Aujourd’hui le défi est comprendre que le rôle de la culture va bien au-delà du lieu où elle est assignée par les états et par les grandes organisations internationales.
C’est de cette manière que cette Convention de droit international pourra se traduire politiquement et permettre à ”[…] des fédérations supranationales (comme l’UE) dans le cadre d’organisation mondiale reformée de surmonter progressivement la division sociale et la stratification de la société mondiales sans porter atteinte aux singularités culturelles” (Habermas).
Nous sommes à la fois “autonomes et dépendants”. Cet équilibre est fragile et complexe. C’est pourquoi, il est tentant de pencher pour l’un ou l’autre terme. Mais cet équilibre est le seul qui vaille hier comme aujourd’hui. Seule la culture, lieu de l’intelligence collective, peut le permettre. C’est finalement la grande leçon que nous donne à méditer la crise du coronavirus.
Fulvio Caccia, dans un blog du HuffPost, jeudi 21 mai.