Des États-Unis à l’Europe, les communautés racisées paient un tribut élevé à la pandémie.
Les inégalités face au coronavirus peuvent-elles marginaliser encore davantage les groupes ethniques qui sont déjà victimes de l’exclusion et du racisme ? C’est hélas le cas, et plusieurs études l’ont récemment montré. Être noir ou hispanique aux États-Unis, asiatique ou noir au Royaume-Uni, rom dans l’ensemble de l’Europe, entre autres, devient un facteur supplémentaire de vulnérabilité aux épidémies.
Les Afro-Américains « plus susceptibles de mourir »
Le Dr Clyde Yancy, du département de cardiologie de l’université Northwestern (Chicago), met bien en relief l’étendue du problème racial dans la crise du Covid-19 aux États-Unis.
« Les personnes afro-américaines ou noires contractent le SARS-CoV-2 dans des proportions plus importantes et sont plus susceptibles de mourir », prévient-il. « A Chicago, plus de 50 % des cas de Covid-19 et près de 70 % des morts liées au Covid-19 concernent des personnes noires, alors que les Noirs ne représentent que 30 % de la population. » Il cite également la Louisiane, ou 70,5 % des morts appartiennent à la communauté noire qui ne représente pourtant que 32,2 % des habitants de l’Etat.
« Si la ville de New York est devenue l’épicentre, ce fardeau disproportionné est encore validé chez les minorités sous-représentées, plus particulièrement les Noirs et maintenant les Hispaniques, qui ont représenté respectivement 28 % et 34 % des morts (leur proportion dans la population est respectivement de 22 % et 29 %) », ajoute le médecin.
Au chapitre des causes, il cite bien sûr les disparités d’accès aux soins mais aussi les comorbidités plus présentes chez les Afro-Américains (hypertension, diabète, obésité, maladies cardio-vasculaires). « Mais les inquiétudes vont au-delà de ces comorbidités », poursuit-il. « Si la race en tant que telle entre dans ce débat, c’est parce que dans de très nombreuses communautés, la race détermine le lieu d’habitation. » Il décrit les quartiers pauvres dans lesquels résident de nombreux membres de la communauté afro-américaine, avec « une forte densité urbaine, un niveau de criminalité élevé et un accès médiocre à une alimentation saine ». Tout ceci compose « l’influence pernicieuse de facteurs sociaux défavorables » sur la santé.
Pour le Dr Yancy, « le Covid-19 est devenu l’événement annonciateur qui désormais expose pleinement les blessures sociales profondes et chroniques dans les communautés des Etats-Unis ».
Le tribut des Britanniques d’origine indienne, pakistanaise, caribéenne…
Les Etats-Unis sont loin d’être les seuls concernés. Dans tous les pays où sévit le racisme, il devient un facteur d’exclusion, de paupérisation, donc de vulnérabilités additionnelles. Ainsi, en Grande-Bretagne, un groupe de chercheurs de l’OpenSafely Collaborative, une association d’institutions emmenées par l’université d’Oxford et l’Ecole d’hygiène et de médecine tropicale de Londres, a épluché les données de 5 683 morts du Covid-19 entre le 1er février et le 25 avril.
« En comparaison avec les personnes dont l’ethnicité est enregistrée comme blanche, les personnes noires avaient un plus grand risque de mourir », écrivent-ils dans une étude mise en ligne sur le serveur de prépublication MedRxiv. Une conclusion qui s’applique également aux personnes d’origine asiatique (environ 5 % de la population britannique est composée de personnes issues du sous-continent indien, principalement des Indiens et des Pakistanais). Le risque de mortalité dans ces deux communautés n’est « que partiellement attribuable à des risques cliniques préexistants ou à la précarité », selon les auteurs, qui réclament des études supplémentaires « de toute urgence ».
Outre-Manche, l’institut de recherche indépendant IFS a également fourni des chiffres parlants. « Les décès hospitaliers sont les plus importants parmi la population noire des Caraïbes, trois fois ceux de la majorité blanche. » Les personnes d’origine pakistanaise ou africaine auraient des niveaux similaires. Ce qui est d’autant plus étonnant si l’on tient compte de la moyenne d’âge plus basse de ces populations, qui devrait les rendre moins vulnérables à la maladie. Si l’on prend en compte ce facteur, « les décès hospitaliers de Bangladeshi représentent le double de ceux du groupe britannique blanc, les morts de Pakistanais sont 2,9 fois supérieures et celles des Africains noirs 3,7 fois supérieures. »
Les professions exercées constitueraient une partie de l’explication. « Plus de deux femmes noires africaines sur dix en âge d’occuper un emploi travaillent dans les secteurs de la santé et de l’aide sociale », détaille l’IFS. L’institut note que les hommes d’origine indienne ont également beaucoup plus de chances de se retrouver dans ces domaines professionnels. Par exemple, « alors que le groupe ethnique indien compose 3 % de la population active en Angleterre et au Pays de Galles, ils représentent 14 % des médecins ».
Comme pour la communauté noire américaine, ce sont les vulnérabilités économiques et leurs conséquences sur la santé qui vont également frapper plus fortement les minorités ethniques du Royaume-Uni.
« Misère » et « famine » chez les Gitans
Les groupes qui sont déjà mis à l’écart le restent lors de l’épidémie. La docteure Paloma Gay y Blasco, de l’université de St Andrews (Ecosse), et Maria Félix Rodriguez Camacho, de l’ONG FAGA, ont récemment alerté sur le sort de la communauté rom espagnole, « l’une des minorités les plus marginalisées et les plus pauvres d’Europe ». Un rapport des Nations unies estime en effet que 80 % de ses membres doivent faire face à la pauvreté ou à l’exclusion sociale, et que 46 % sont dans une extrême pauvreté, avec un revenu mensuel inférieur à 310 euros.
L’espérance de vie des Gitans espagnols est de dix à quinze ans inférieure à celle du reste de la population. Ils ont « la pire santé et l’espérance de vie la plus basse », détaillent les deux chercheuses. « Les Gitans devraient souffrir de l’impact du coronavirus de manière extrême et très spécifique. »
Elles citent les niveaux plus élevés de maladies respiratoires, d’obésité et de diabète, qui sont des facteurs aggravants pour le Covid-19, mais aussi la place de ces Roms dans la société. Ils vivent souvent dans des logements familiaux, parfois avec plusieurs familles habitant ensemble dans des espaces réduits, un facteur facilitant la propagation de l’infection. Entre ghettos et ségrégation, le confinement est devenu un obstacle économique pour des familles qui subsistent souvent par de petits métiers de vente en plein air, de saisonniers agricoles, de récupération de matériaux. « Confinés dans leurs domiciles à cause de la pandémie, ils font face non seulement à une misère totale mais aussi à la famine. » Au 24 mars, 47 000 de ces personnes n’avaient pas de quoi assurer leur survie la plus élémentaire.
« Les communautés minoritaires peuvent être davantage exposées au virus parce qu’elles sont surreprésentées dans les personnels essentiels sur le front, ce qui inclut les personnels soignants à bas salaire qui se déplacent souvent entre les cliniques, hôpitaux et maisons de retraite pour gagner leur vie, ce qui va augmenter leurs risques », analyse la docteure Kirsten Bibbins-Domingo, du département d’épidémiologie et de biostatistiques de l’université de Californie.
Elle alerte aussi sur les possibles dérives lorsqu’un vaccin sera disponible. Elle note par exemple que « durant les années 1970, l’écart des taux de vaccination contre la rougeole entre les enfants des minorités et les enfants blancs allait jusqu’à 18 % ». Les épidémies de 1989 à 1991 aux Etats-Unis ont ainsi fait entre quatre à sept fois plus de victimes dans ces populations. Un vaccin contre le Covid-19 nécessitera donc « une stratégie d’implémentation qui remédie à l’écart actuel de vaccination chez les adultes et qui prenne en compte les problèmes spécifiques des communautés minoritaires ».
Si la pandémie révèle les inégalités provoquées par le racisme, cela pourrait aussi être l’occasion de les attaquer à la racine. Y compris en France.
Jean-Paul Fritz, L’OBS, lundi 25 mai 2020.