Narcissisme, individualisme, altruisme : c’est autour de ces notions que s’est déroulée, samedi 22 janvier, la première conférence-débat de l’année organisée au Pingouin Alternatif. Mathieu Turon accueillait à cette occasion le philosophe Mathias Roux, auteur du livre : « La dictature de l’Ego – En finir avec le narcissisme de masse » (éditions Larousse).
Le débat a été animé, comme d’habitude, par Didier Maiffredy et prolongé par les questions d’un public très intéressé.
Mathias Roux, en bon pédagogue (il est professeur de philosophie), a développé un discours très limpide, construit et solide, en s’efforçant d’abord de bien définir ce dont il voulait parler.
Il a rappelé ainsi que l’individualisme, historiquement, remontait à la Révolution Française : il est alors connoté positivement puisqu’il repose sur l’idée, issue des Lumières, que tout individu, de manière égale, a sa valeur et sa dignité. L’égocentrisme, par ailleurs, est naturel car chacun vit d’abord par rapport à lui-même.
Mais aujourd’hui il y a eu un basculement vers le narcissisme, « face obscure de l’individualisme ». On a tendance à « ne vivre que par rapport à l’image qu’on veut donner aux autres »… notamment à travers les réseaux sociaux comme Instagram : le « je » est en représentation permanente, on vit en fonction de la manière dont l’autre nous voit ; le seul intérêt est « ma vie vue par les autres ».
Pour Mathias Roux, ce narcissisme révèle en réalité une faiblesse, une vacuité, un manque de confiance en soi : « on a besoin de la validation de l’autre ».
> Espérances collectives disparues
Cette souffrance, issue des promesses non tenues de la modernité (l’individu n’est pas aussi heureux que le lui avait laissé espérer le progrès), cherche par ailleurs une compensation dans la consommation et, surtout, les techniques de développement personnel, qui concentrent les critiques du philosophe : issue d’un discours libéral qui a pris la place des grandes espérances collectives disparues (comme le communisme dans les années 70-80), s’est imposée l’idée que « on ne peut pas compter sur le groupe… chacun est responsable de lui-même ».
Cette conception hégémonique empêche l’individu d’interroger les conditions objectives de vie, annihile son esprit critique, le fait se replier sur lui-même.
D’où le triomphe du relativisme : chacun a sa vérité, toutes les opinions se valent, « ça a de la valeur parce que c’est moi qui le pense ».
> Refaire de la politique
Pour lutter contre cette dérive, Mathias Roux, en bon pédagogue, veut amener chaque élève dont il a la charge à réfléchir, à sortir de son indifférence, à développer son esprit critique, à « faire les choix les plus éclairés pour être le plus libre possible ».
Il faut « refaire de la politique… retrouver la maîtrise des sujets sur lesquels on veut délibérer » et comprendre que l’appartenance au groupe est facteur d’épanouissement : « je ne suis moi-même que par l’intermédiaire des autres ».
Le débat avec le public a permis d’aborder également les questions de l’éducation (nécessité de la frustration, bienfaits de l’ennui), de la transmission de la culture, du choix de faire des enfants, de l’universalisme des valeurs républicaines… et de l’amour, don de soi inconditionnel.