Toute grâce et toutes nuances
Toute grâce et toutes nuances
Dans l’éclat doux de ses seize ans,
Elle a la candeur des enfances
Et les manèges innocents.
Ses yeux, qui sont les yeux d’un ange,
Savent pourtant, sans y penser,
Éveiller le désir étrange
D’un immatériel baiser.
Et sa main, à ce point petite
Qu’un oiseau-mouche n’y tiendrait,
Captive sans espoir de fuite,
Le cœur pris par elle en secret.
L’intelligence vient chez elle
En aide à l’âme noble ; elle est
Pure autant que spirituelle :
Ce qu’elle a dit, il le fallait
Et si la sottise l’amuse
Et la fait rire sans pitié,
Elle serait, étant la muse,
Clémente jusqu’à l’amitié,
Jusqu’à l’amour — qui sait ? peut-être,
A l’égard d’un poète épris
Qui mendierait sous sa fenêtre,
L’audacieux ! un digne prix
De sa chanson bonne ou mauvaise !
Mais témoignant sincèrement,
Sans fausse note et sans fadaise,
Du doux mal qu’on souffre en aimant.
Paul Verlaine (1844-1896).
Recueil : La bonne chanson (1872).