« Les jeunes n’ont certainement pas le monopole du relâchement des gestes barrières »

Une soirée à Saint-Denis, le 1er août 2020. (GEOFFROY VAN DER HASSELT/AFP)

Alors que le nombre de contaminations augmente de manière plus prononcée chez les 20-30 ans ces dernières semaines, le sociologue Olivier Cousin appelle à ne pas stigmatiser cette catégorie d’âge.

Les jeunes sont-ils les grands responsables du nouveau « frémissement » de l’épidémie de Covid-19 en France ? Le dernier bulletin de Santé publique France dévoile une hausse générale des contaminations, pointant une augmentation de l’incidence du virus particulièrement marquée chez les 20-30 ans. Le nombre de cas avait augmenté de 45 % chez les 15-44 ans par rapport à la semaine précédente, contre +20 % chez les 45-64 ans, +5 % chez les 65-74 ans, et +4 % chez les 75 ans et plus.

Dans la foulée, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) leur a enjoint de prendre leurs « responsabilités » pour éviter de propager le virus, et les autorités françaises ont multiplié les mises en garde vis-à-vis des « tranches d’âge les plus jeunes ».

Pour Olivier Cousin, sociologue et professeur à l’université de Bordeaux, spécialiste du travail et de l’éducation, interrogé par « l’Obs », il ne faut pas non plus tomber dans la stigmatisation.

On a pu observer une augmentation du nombre de cas de Covid chez les 20-30 ans ces dernières semaines. A quoi est-ce lié selon vous ?

On peut dire que cela tient à des modes de vie qui font qu’après le confinement, les jeunes se sont peut-être davantage retrouvés dans des endroits assez fréquentés. Il y a sûrement une forme de relâchement autour de regroupements durant lesquels les gestes barrières ont été moins respectés, ou du moins sont plus difficiles à respecter qu’ailleurs.

Le Premier ministre Jean Castex a estimé mardi que cette hausse des cas chez les plus jeunes était liée à des « rassemblements amicaux, festifs ». La culpabilisation ne peut-elle pas renforcer un sentiment de défiance ?

Je pense qu’il faut éviter de se focaliser sur les jeunes comme s’ils étaient les moutons noirs, les mauvais élèves. Ils ont été, comme l’ensemble de la population au fond, respectueux des consignes, certes parce qu’il y avait des amendes et des contraintes, mais globalement, ils les ont respectées.

On assiste à une sorte de stigmatisation : ils n’ont absolument pas le monopole de la présence dans les rues, dans les bars, voire dans les rassemblements festifs. Il suffit de prendre le métro ou de se rendre dans une gare pour voir qu’ils ne sont pas les seuls à ne pas respecter le port du masque. Les éventuels matchs de foot et autres rassemblements à venir ne vont très probablement pas rassembler que des 18-25 ans. S’il y a un relâchement, ils n’en ont certainement pas le monopole.

Les jeunes ne sont donc pas particulièrement réfractaires aux mesures contre la propagation du Covid-19 ?

Non, je ne dirais pas ça. Encore une fois, il est évident qu’il y a un certain nombre de rassemblements dont ils sont les plus grands consommateurs, des festivals par exemple. Après trois mois, voire plus, de privation de ce type d’offres, aujourd’hui, les rares événements proposés attirent du public, et il se trouve que ce public est jeune. Mais on a vu d’autres lieux qui attirent toute une autre population, comme le Puy du Fou en Vendée, lequel s’est aussi fait taper sur les doigts parce que la jauge des 5 000 personnes a largement été dépassée.

On entend parfois dire qu’ils ne se sentent pas concernés par le virus ou qu’ils minimisent l’ampleur de l’épidémie.

C’est en partie vrai, mais cette impression d’être épargné, là aussi, on la retrouve ailleurs. On l’observe par exemple dans certains villages dont les habitants, et pas forcément à tort, ne se sentent pas concernés. Là aussi, les jeunes ne se sont ni plus ni moins relâchés que les autres.

Mais c’est peut-être plus le propre des 18-25 ans de beaucoup plus sortir, d’avoir des réseaux d’amis beaucoup plus denses que les personnes plus âgées qui se replient sur la cellule familiale. Les gestes barrières exigés sont plus compliqués à tenir pour eux, d’autant plus quand il fait beau et que ce sont les vacances.

Peut-on dire que le besoin de se sociabiliser prime sur le sentiment d’être en danger ?

Oui, mais je crois que c’est une expérience que l’on a tous vécue, celle de mettre en tension la question de la sécurité avec celle de la liberté. Cette question se pose légitimement et il est normal que l’on en débatte. On a accepté de manière assez surprenante de basculer complètement sous cette sécurité au sens de la protection, on a renié sa liberté comme cela ne nous était jamais arrivé depuis soixante-dix ans.

Et cette question, les jeunes se la posent comme les autres. Et encore une fois, il suffit de se rendre sur les quais de Seine à Paris pour constater qu’ils ne sont pas les seuls présents, comme dans les cafés, où il y a autant de jeunes que de moins jeunes.

Propos recueillis par Élisa Fernandez pour L’Obs, Mercredi 12 août 2020

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