« Un établissement du Var renonce à prendre le nom de Samuel Paty, professeur assassiné par un terroriste islamiste en octobre 2020. C’est désolant. C’est lâche. C’est compréhensible. C’est compliqué.
Il fut envisagé qu’un collège du Var prît le nom de Samuel Paty, en hommage au professeur victime du terrorisme islamiste. Une consultation interne à l’établissement en décida autrement : 100 % des enseignants qui avaient participé au vote étaient contre. Evidemment, ce refus unanime fut dénoncé comme une marque de lâcheté et de renoncement. En la matière, l’indignation ne suffit pourtant pas et cette décision consternante mérite une réflexion plus large.
Il est tout d’abord étonnant que cela surprenne. Sans doute est-ce parce qu’un voile pudique a été jeté sur les semaines qui ont suivi l’attentat : hommage invraisemblablement escamoté par l’institution, clivages entre professeurs ou, plus choquant encore, indifférence, atermoiements, etc. Par décence ou fatigue, l’abcès n’a pas éclaté mais, pour qui y a assisté, pour qui a lu sur les réseaux sociaux les échanges entre enseignants, il y a quelque chose d’irrémédiable. Et, désormais, des professeurs irréconciliables.
> Une aventure solitaire et risquée
A la suite de ce refus, on dénonça la « trouille » du corps enseignant. Cette peur n’est pas glorieuse et ne sauvera personne. Pis, elle remet une pièce dans le nourrain de la lâcheté. Mais rappelons quand même qu’elle a une part de légitimité, l’attentat de Conflans-Saint-Honorine en est la preuve, et que l’on parle de lieux remplis d’enfants dont nous sommes responsables.
Certes, face à l’histoire, c’est tout autrement qu’il faudrait s’y prendre, mais, sur le terrain, c’est plus compliqué : le courage n’est pas la qualité la plus encouragée dans une Éducation nationale au sein de laquelle on craint les vagues et la contradiction. Comment voir plus haut, plus noble, quand tout vous conduit à n’être que l’administrateur docile et craintif de votre enseignement : l’ethos enseignant s’est diffracté et semble avoir perdu de son évidence. Le courage sera désormais une aventure solitaire et risquée. C’est une triste réalité.
> Ausculter son propre courage
Remarquons aussi que l’on demande beaucoup à l’école. Quand chacun vaque à ses occupations, invective sous pseudo sur Twitter, on attend des établissements scolaires qu’ils soient la caisse d’enregistrement de ce qu’il y a de plus tragique. Des pans entiers de ce qui est le plus grave pèsent sur les épaules de l’école : guerre d’Algérie, Shoah, terrorisme, pressions religieuses, pauvreté, inégalités, etc. C’est évidemment sa raison d’être d’affronter tout cela, c’est même sa grandeur. Mais c’est éprouvant. Et que ceux qui critiquent si facilement ses élans timorés, certes désolants, songent à ausculter leur propre courage (ils peuvent commencer par lire « Charlie Hebdo » dans les transports en commun, j’ai essayé, ce n’est pas de tout repos).
> Du côté de la vie
Par ailleurs, cette dimension inévitablement tragique de l’enseignement n’est supportable que si elle est associée à une promesse, un horizon, un espoir. L’école, ne l’oublions pas, doit être aussi du côté de la vie et de l’avenir, elle ne peut être uniquement un « autel de morts », un lieu dans lequel la société blanchit son histoire ou sa mauvaise conscience. Or, c’est précisément ce qui manque, surtout en ce moment, en pleine pandémie, avec des élèves qui ne vont pas très bien, de la violence qui monte, des résultats scolaires accablants dans les statistiques et des perspectives qui sont au mieux floues et incohérentes, au pire tristes.
Tout cela n’excuse en rien un vote symboliquement désastreux. Samuel Paty et sa famille ne méritaient pas cela. Mais permet de comprendre, un peu, la fragilité d’une école épuisée et désorientée à laquelle on demande tellement. »