Trois semaines après l’attaque terroriste du Hamas, le bilan du conflit israélo-palestinien ne cesse de s’alourdir et le monde de se fracturer. Comment reprendre l’initiative diplomatique et, en France, éviter l’aggravation des tensions ? Certains ouvrent, courageusement, la voie du dialogue et de la réflexion, comme la rabbin Delphine Horvilleur, figure de proue du judaïsme libéral en France, et l’écrivain franco-algérien Kamel Daoud.
- Extraits de l’entretien donné à L’Obs, mercredi 25 octobre :
Delphine Horvilleur : Depuis quelques jours, j’oscille entre une très profonde tristesse, un sentiment de dévastation, et une colère, une rage particulière et un désespoir que je ne connaissais pas en moi qui me suis toujours perçue comme une optimiste. Je suis en manque d’un dialogue humain sensé, empathique, au milieu de cette déferlante de haine et de rage. Je suis en réalité très blessée de trouver si difficilement des interlocuteurs… J’ai l’impression que le monde est en train d’être détruit par un déluge de haine et de rage et que moi, je voudrais construire une arche. Je sais bien que je ne vais pas mettre fin au déluge ou amener les gens à la table de négociation pour la paix au Proche-Orient, mais j’aspire à conserver mon humanité en embarquant sur une arche avec des gens qui la partagent.
Kamel Daoud : Je ressens aussi le besoin de dialoguer pour réaffirmer quelque chose de banal qui est l’humanité, face à cette déferlante d’inhumanité qui s’est infiltrée en chacun, dans chaque camp, dans chaque famille… Je suis en colère parce que je suis musulman de culture et que dans ma géographie on me refuse le droit à l’expression et à la nuance, parce qu’on voudrait me forcer à une unanimité monstrueuse qui n’est pas la mienne… Une cause doit garder sa supériorité morale, elle s’effondre si elle choisit la barbarie et trouve des gens qui la justifient.
D.H. : Après le 7 octobre, ce qui m’a paru le plus fou, c’est que je n’ai pas trouvé de voix palestinienne en France pour dénoncer le Hamas. En fait, et pardon pour ma naïveté, ça me paraissait facile à faire. Cela fait des années que je m’emploie à dénoncer le gouvernement de Netanyahou, l’horreur de l’occupation, la dérive de la société, son hubris, etc., et j’ai été sidérée de ne pas trouver de voix palestinienne en France pour dire « notre cause est juste, les Palestiniens ont le droit d’avoir une terre, mais pas par ces moyens-là ».
K.D. : Le but des islamistes n’a jamais été de fonder un État palestinien ; le but des islamistes, c’est de précipiter la fin du monde… Je suis pour un État palestinien et je crois que l’existence d’un tel État est nécessaire non seulement pour les Palestiniens mais aussi pour ma propre liberté dans mon propre pays, parce que ce problème hypothèque tous nos projets de démocratisation. Mais je ne peux pas adhérer à un projet d’extermination qui refuse l’humanité à chacun.
> Ce conflit nous concerne tous
D.H. : L’enjeu pour une partie du monde arabe n’est pas la paix avec les Israéliens mais de les rejeter à la mer. Je me suis toujours insurgée contre les Israéliens de droite qui tenaient ces propos, mais aujourd’hui je me dis qu’il y a quelque chose à explorer, qui n’est pas du tout propre au monde arabe, qui a été tellement partagé dans l’histoire, de la haine du juif et de la volonté de s’en débarrasser pour ce qu’il représente.
K.D. : Le juif, c’est l’autre, c’est la partie qu’on rejette. Sais-tu que, dans le monde arabe, on traite de juif tout Arabe qui veut s’émanciper et avoir une pensée autonome ? Ce qu’on veut tuer en vous c’est la partie la plus vivante et la plus refusée en nous aussi.
D.H. : Ce que je dis n’est pas une façon d’éluder la responsabilité énorme des gouvernements israéliens dans le développement de la colonisation… Cette guerre contre le Hamas est légitime, et c’est difficile à dire sans que cela apparaisse comme une relativisation des morts de Gaza. Mais moi je ne relativise rien, je cauchemarde à l’idée de ce que vivent ces mères, ces enfants…
K.D. : La guerre que mène à présent Israël, elle est certes justifiée mais elle n’est pas juste. Aucun crime ne répare un autre crime… La guerre fabrique le tueur de demain. C’est le cycle dans lequel nous sommes tous entraînés et ce pour quoi il faut impérativement revoir ce problème à partir de deux grands enjeux. D’une part, l’enjeu de l’humanité de chacun : le droit d’humanité pour l’Israélien et le Juif, pour l’Arabe et le Palestinien. Et d’autre part, l’enjeu démocratique, car plus la Palestine rétrécit, plus le califat imaginaire s’étend. Je demande à Israël comme en Palestine, de faire la paix pour pouvoi d’une façon ou d’une autre.r me libérer.
D. H. : Voir l’extrême droite, qui continue d’être noyautée et entourée de penseurs fascistes, chargée d’une histoire antisémite qui ne sera jamais lavée, faire ce racolage en jouant la carte du pronationalisme israélien, ça m’est insupportable. Mais il est aussi insoutenable de voir les positions indignes de La France insoumise et sa rhétorique qui nourrit l’antisémitisme. Il ne faut pas se tromper sur ses faux amis. La question, c’est : qui ça arrange ici de nourrir sa haine de ce qui se passe là-bas ?
K.D. : La réalité, c’est que ce conflit monstre nous concerne tous, d’une façon ou d’une autre.