Je l’aime d’amour profond
Nuit et jour, malgré moi, lorsque je suis loin d’elle,
A ma pensée ardente un souvenir fidèle
La ramène ; — il me semble ouïr sa douce voix
Comme le chant lointain d’un oiseau ; je la vois
Avec son collier d’or, avec sa robe blanche,
Et sa ceinture bleue, et la fraîche pervenche
De son chapeau de paille, et le sourire lin
Qui découvre ses dents de perle, — telle enfin
Que je la vis un soir dans ce bois de vieux ormes
Qui couvrent le chemin de leurs ombres difformes ;
Et je l’aime d’amour profond : car ce n’est pas
Une femme au teint pâle, et mesurant ses pas
Au regard nuagé de langueur, une Anglaise
Morne comme le ciel de Londres, qui se plaise
La tête sur sa main à rêver longuement,
A lire Grandisson et Werther, non vraiment ;
Mais une belle enfant inconstante et frivole,
Qui ne rêve jamais ; une brune créole
Aux grands sourcils arqués; aux longs yeux de velours
Dont les regards furtifs vous poursuivent toujours ;
A la taille élancée, à la gorge divine,
Que sous les plis du lin la volupté devine.
Théophile Gautier (1811-1872)
Recueil : Élégies (1830).