Le Printemps des Poètes

À une jeune veuve

Jeune et charmant objet à qui pour son partage
Le ciel a prodigué les trésors les plus doux,
Les grâces, la beauté, l’esprit, et le veuvage,
Jouissez du rare avantage
D’être sans préjugés, ainsi que sans époux !
Libre de ce double esclavage,
Joignez à tous ces dons celui d’en faire usage ;
Faites de votre lit le trône de l’Amour ;
Qu’il ramène les Ris, bannis de votre cour
Par la puissance maritale.
Ah ! ce n’est pas au lit qu’un mari se signale :
Il dort toute la nuit et gronde tout le jour ;
Ou s’il arrive par merveille
Que chez lui la nature éveille le désir,
Attend-il qu’à son tour chez sa femme il s’éveille ?
Non : sans aucun prélude il brusque le plaisir ;
Il ne connaît point l’art d’animer ce qu’on aime,
D’amener par degrés la volupté suprême :
Le traître jouit seul… si pourtant c’est jouir.
Loin de vous tous liens, fût-ce avec Plutus même !
L’Amour se chargera du soin de vous pourvoir.
Vous n’avez jusqu’ici connu que le devoir,
Le plaisir vous reste à connaître.
Quel fortuné mortel y sera votre maître !
Ah ! lorsque, d’amour enivré,
Dans le sein du plaisir il vous fera renaître,
Lui-même trouvera qu’il l’avait ignoré.

Voltaire (1694-1778), Épîtres, stances et odes

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